La moisson s’est achevée depuis quelques jours dans la plupart des régions françaises. Retour sur les 3 faits marquants de ce cru 2023 avec Sylvain de la ferme Jesse :
1 – Des conditions climatiques pas toujours favorables impactant les rendements et la qualité
Grâce à une météo avantageuse au début du printemps, la moisson s’annonçait avec un potentiel remarquable pour cette récolte 2023. C’était sans compter sur l’épisode de forte chaleur survenu à la fin du mois de mai.
Les rendements et la qualité des produits ont alors été directement impactés par ces températures élevées et l’absence de précipitations, engendrant des résultats très hétérogènes au sein d’une même région, voire d’une même exploitation et variant selon :
- Le potentiel agronomique de chaque région et de chaque parcelle
- La survenue ou l’absence d’orages fin mai, début juin
- Et parfois ces écarts ont été amplifiés par l’historique de gestion des parcours de fertilisation de chaque exploitation
Quand dans certaines régions, la période de récolte s’est déroulée dans des conditions très clémentes permettant une gestion sereine des chantiers, d’autres connaissent encore une météo beaucoup plus chaotique. Il faut jongler entre les averses autant pour la récolte des grains que celle de la paille. La qualité des récoltes encore sur pied se dégrade au fil des averses.
- Des rendements en blé globalement au-dessus des moyennes mais qui vont du simple au double selon les régions, avec des qualités conformes aux normes pour la partie récoltée
Une nouvelle fois, la moyenne française masquera beaucoup de disparités : dans les zones intermédiaires, le moyenne sera parfois inférieure à 50 q /ha sur certaines exploitations alors que dans d’autres zones de production, le compteur affichera plus de 100 q par ha en blé. Les blés récoltés affichent des PS supérieurs à 76 et des taux de protéine autour de 11.5. A ce jour, il reste environ 15 % de la récolte française à réaliser et les inquiétudes liées à la qualité grandissent au fil des cumuls de précipitations constatés.
- Le calibrages des orges brassicoles en retrait
En 2023, la calibrage des orges de printemps semées à l’automne décrochent significativement dans la plupart des régions avec des résultats (de 30 à 75 %) très souvent inférieurs aux besoins des malteurs (90 %). Le calibrages des orges de printemps semées au printemps est également très hétérogène selon les régions et bien souvent inférieurs à la norme attendue. Les rendements des orges brassicoles sont également très variables d’une région à l’autre, d‘une exploitation l’autre.
- Les colzas déçoivent, les pois décrochent
La « déception » est le point commun des résultats obtenu en colza qui affichent globalement un recul de rendement de 10 à 20 %. La culture du pois a été particulièrement marquée par la chaleur et le manque d’eau intervenus pendant la période de floraison. Les rendements décochent de 10 à 20 q /ha par apport aux moyennes décennales.
2 -Un marché très volatil et marqué par un net recul des prix depuis 1 an
L’été 2022 a marqué le début de la baisse des prix, qui s’est poursuivie jusqu’au début de la moisson 2023, avec un recul de plus de 100 €/t en céréales et 250 €/t en oléagineux.
Au niveau français, les pourcentages moyens engagés à la veille de la récolte 2023 étaient nettement inférieurs à ceux relevés 12 mois auparavant. C’est un constat paradoxal, car il y avait possibilité de s’engager à vendre avec des prix de céréales encore à des niveaux élevés sur le premier semestre de 2023 :
- Céréales: prix au-delà de 300 €/t
- Colza : prix au-delà de 600 €/t

La moisson 2023 se termine donc sur des perspectives de disparité assez marquée des chiffres d’affaires des exploitations, impactés d’une part par des rendements très hétérogènes et d’autre part, par des décisions de commercialisation n’ayant pas toujours permis de profiter des meilleurs prix de vente.
Le tableau ci-contre met en évidence la dispersion du chiffre d’affaires obtenu selon le rendement obtenu et les décisions de commercialisation prises : plus de 1000 € d’écart de chiffre d’affaires attendus selon les résultats obtenus et les décisions prises.

3 – Une hausse inédite du cout de production
En parallèle, la hausse des charges amorcée depuis 2 ans et accentuée en 2023 par une forte inflation, a porté le prix de revient à 250 €/t de blé en moyenne cette année. Ce niveau est le plus élevé jamais atteint depuis plusieurs décennies avec une nette accélération des hausses ces 2 dernières années :
- 2021: 165 €/t
- 2022: de 180 à 200 €/t (hausse liée à l’envolée du prix des engrais)
- 2023 : de 230 à 270 €/t (hausse de l’ensemble des charges)

Ce qu’il faut retenir : tous les agriculteurs n’auront pas le même revenu en 2023
Cette année encore plus que les autres, le revenu moyen de l’agriculteur ne voudra rien dire. Les situations sont très hétérogènes avec des variations de plusieurs centaines d’euros sur les résultats à l’hectare.
Pour des exploitations identiques, cultivant environ 160 hectares de grandes cultures, il ressortira 3 grandes catégories de résultats :
- Des exploitations avec des insuffisances de trésorerie annuelle estimées à plusieurs dizaines de milliers d’euros (pouvant atteindre jusqu’à 50 à 70 000 €) selon le niveau des charges engagées
- Des exploitations à l’équilibre, ainsi les recettes couvrent les dépenses dont la rémunération du travail de l’exploitant.
- Des exploitations avec des excédents de trésorerie de l’ordre de 15 à 30 000 €. Il s’agit de celles dont les rendements sont supérieurs aux moyennes pluriannuelles, qui ont engagé significativement des ventes avant mars 2023 et qui ont su contenir la hausse des couts de production à travers leurs décisions de gestion.
Zoom sur la ferme France : il manque du chiffre d’affaires pour équilibrer le budget et rémunérer le travail des agriculteurs
Nous présentons ci-dessous une première approche du revenu de la ferme France produisant des grandes cultures.
Les hypothèses retenues sont les suivantes :
- Assolement représentatif des régions de grandes cultures composé 57% de céréales à paille de 12% de mais, de 18% d’oléoprotéagineux et de 13% de cultures industrielles et diverses.
- Besoin en chiffre d’affaires de la récolté 2023 déterminés à partir des travaux réalisés avec l’appui de cabinets comptables présents dans différentes régions représentatives de différents potentiels agronomiques (de 6 à 9 T de blé par ha) soit un seuil de commercialisation d‘environ 250 €/t en céréales
- Engagement de 15 à 25 % des ventes avant la moisson 2023., valorisation de ce qui reste à vendre sur les bases des cours actuels
Les résultats au 4 aout 2023
- Les dépenses engagées pour la récolte 2023 s’établissent à 192 000 €, en intégrant la rémunération du travail de l’exploitant.
- Le chiffre d’affaires obtenus à partir de ventes déjà réalisée et de la valorisation de ce qui reste à vendre au cours du jours n’atteint que 183 000 €
- Il en découle une insuffisance de recette de près de 9000 € pour faire faire à l’ensemble des dépenses professionnelles. Dan ces conditions, le revenu de l’agriculteur serait inférieur aux objectifs fixés en début de campagne.

Le graphique présenté ci-dessous présente l’effet ciseau qui s’est produit pour cette campagne 2023. Au regard du niveau des charges engagées pour la récolte 2023, la baisse des cours constatée depuis le début de l’année 2023 ne permet plus d’avoir un chiffre d’affaires suffisant pour équilibrer le budget. Il en découle un résultat prévisionnel négatif comme l’indique le solde présenté ci-après depuis le printemps dernier.

Zoom sur la ferme Jesse : les ventes de la récolte 2023 réalisées au deuxième semestre 2022 permettent d’obtenir une valorisation de la récolte supérieure au seuil de commercialisation
Chez Sylvain, sur la ferme Jesse, les rendements 2023 sont globalement au-dessus des moyennes décennales en céréales (70 à 75 q en blé et OHB, 55 à 60 q en OPB), alors que le colza se situe dans la moyenne (30q/ha) et ceux des pois décrochent nettement (20 q/ha pour une moyenne d’environ 40q/ha.
Grâce aux ventes réalisées entre mai 2022 et mars 2023, la Ferme Jesse a ainsi pu bénéficier d’un prix de vente supérieur à 290 €/t pour 50 % du potentiel de production des céréales.
Ainsi, la ferme Jesse envisage pour cette moisson 2023 un chiffre d’affaires légèrement au-dessus des dépenses engagées ce qui permettra de préserver la situation de trésorerie et de rémunérer le travail. L’objectif fixé en début de campagne devrait être atteint alors que les charges engagées ont atteint des sommets historiques.

Gwénaëlle BAILHACHE, agricultrice et Sylvain JESSIONESSE, agriculteur et co-fondateur de Piloter Sa Ferme, des outils faits avec, par et pour les agriculteurs pour savoir prendre de bonnes décisions