Après deux années des sursis, le couperet est tombé début 2023 : il n’y aura pas de nouvelle dérogation pour utiliser les néonicotinoïdes (NNI) cette année sur les semences de betteraves. Pour compenser cette annonce, le gouvernement s’est alors engagé à indemniser sans limite les producteurs de betteraves touchés par la jaunisse.

Le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Mr Marc Fesneau s’est rendu début septembre au salon Innovagri à Outarville (45) dans le Loiret. C’est à cette occasion que Constant Thirouin, a pu échanger avec lui.

L’équipe de Piloter Sa Ferme (PSF) fait le point avec Constant sur cette rencontre :

* Constant, vous avez échangé avec Mr Fesneau début septembre lors du salon Innovagri, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous l’avez interpellé ?

              Je suis producteur de betteraves et membre du conseil coopératif de Tereos depuis 2021. Lors de la visite du ministre à Innovagri, l’opportunité m’a été offerte de pouvoir échanger avec lui. Il était de mon devoir de profiter de cette occasion pour lui remonter les informations du terrain et faire le point sur les difficultés rencontrées par les producteurs de betteraves. Elles sont une conséquence directe de l’arrêt de l’utilisation des NNI en traitement de semences.

              Le gouvernement s’est engagé en début d’année à indemniser sans limite l’ensemble des betteraviers subissant des pertes à cause de la jaunisse. Je voulais donc savoir ce que nous pouvions attendre de cette annonce.

                Le non-respect de cet engagement pourrait avoir des impacts bien au-delà de la production agricole. Pour rappel, Tereos a déjà dû revoir l’organisation de ses sites de production en début d’année. Cela a entrainé des arrêts d’activité dans deux de nos usines, malheureusement accompagnés de réductions de personnel. Nous voulons éviter que cela n’arrive de nouveau.

* Quelle a été la réponse du ministre ?

              Malgré une connaissance certaine du dossier, de ces difficultés et des risques à différentes échelles, que la présence de la jaunisse fait peser sur l’avenir de la production française de betteraves sucrières, la réponse du ministre a été claire : le dossier ne sera pas remonté au niveau de Bruxelles.  L’engagement pris et annoncé en début d’année concernait la totalité des producteurs français. Or la présence de la jaunisse et ses conséquences n’ayant été constatées que sur une zone géographique locale, le ministre considère que les critères pour monter un dossier auprès des instances européennes ne sont pas réunis.

                Afin de ne pas laisser sans réponse et sans alternative les producteurs touchés par le virus, Mr Fesneau les encourage à faire appel aux aides de minimis agricoles. Une partie des betteraviers a déjà eu recours à ce dispositif d’aides en 2020 à la suite de pertes liées à la jaunisse. Si on ajoute le fait que le plafond de ces aides est fixé à 20 000 € cumulés sur les trois derniers exercices, il est évident que cela ne suffira pas à couvrir les pertes de cette campagne.

                Le sujet reste donc aujourd’hui sans réponses concrètes permettant de garantir le maintien des surfaces de production pour les années à venir.

* Pouvez-vous nous rappeler en quoi la jaunisse est un problème pour les producteurs de betteraves et en quoi le traitement de semences est une solution pour y faire face ?

                La jaunisse est un virus transmis aux plantes par les pucerons. Les principales attaques ont généralement lieu au printemps, juste après les semis, durant les premières semaines de croissance des betteraves. Le traitement des semences avec des doses infinitésimales d’insecticide permettait donc de protéger les plantes lors de cette phase.

La présence du virus dans une parcelle se reconnait très facilement par la coloration jaune que prend alors le feuillage. La dégradation des feuilles impacte directement le développement des betteraves. Lors des attaques les plus importantes, les pertes de rendement peuvent atteindre 50% des volumes.

                Les producteurs ne possédant plus de moyens de protection efficace pour lutter contre cette maladie, ils risquent de se détourner de la production de betteraves. L’impact d’une éventuelle diminution des surfaces emblavées serait dramatique et pourrait entrainer des baisses conséquentes d’activité, voire de nouvelles fermetures d’usines de transformation.

               Les conséquences vont donc bien au-delà du monde agricole. Les diminutions d’activité voire les fermetures d’usine entrainant des plans sociaux aux conséquences désastreuses sur l’économie des régions concernées.

 

* Les résultats définitifs de cette campagne ne sont pour l’heure pas encore connus. Quels sont les premiers constats pour les récoltes à venir ?

               Dans certains secteurs, les premiers effets du non-renouvellement de la dérogation autorisant l’utilisation des NNI sur les semences de betteraves, n’ont pas tardé à se faire sentir. La jaunisse s’est fortement développée après les semis du printemps 2023. Elle a été recensée chez une centaine de producteurs en Eure-et-Loir, zone la plus touchée sur cette campagne.

                Même si les régions limitrophes ont été moins impactées, l’inquiétude des producteurs reste vive. En conséquence, le maintien des surfaces de production pour les années à venir n’est pas garanti à l’heure actuelle.

                Le bilan définitif des dégâts et des pertes de rendement sera connu dans les prochaines semaines à la suite des récoltes. Globalement pour cette année, la pression jaunisse au niveau national reste à des niveaux plutôt faibles. Ce n’est cependant pas une raison suffisante pour ne pas indemniser comme annoncé les producteurs des régions touchées.

Constant THIROUIN, agriculteur, membre du conseil coopératif de TEREOS et équipier Piloter Sa Ferme, des outils faits avec, par et pour les agriculteurs pour savoir prendre de bonnes décisions