La moisson se termine. C’est l’heure des estimations de productions et des rendements réels. Tout le monde en parle et ce d’autant plus que le modèle de l’agriculture française a été bâti sur une logique de production et de recherche des meilleurs rendements. Cependant la performance économique est elle vraiment liée à la réalisation de très bonnes récoltes ?

Comme la principale finalité de tout chef d’entreprise est de pérenniser son entreprise, nous avons mesuré l’impact de la bonne récolte 2019 sur la rentabilité des exploitations céréalières. Et nos résultats sont sans appels.

Comment approcher la rentabilité

Diriger une entreprise quelle soit agricole ou autre, c’est chercher à générer plus de produits que de charges. La mesure de cette rentabilité en temps réel est aujourd’hui possible avec l’utilisation d’un indicateur simple, le ratio d’atteinte d’un besoin en chiffre d’affaires.

Avec un raisonnement en trésorerie, nous pouvons définir ce besoin en chiffre d’affaires à atteindre par culture et au global sur une exploitation. Car avant de récolter, d’encaisser l’argent de ses ventes, l’agriculteur engage des dépenses.

Afin d’approcher ce besoin en chiffre d’affaires, nous devons additionner toutes les charges de trésorerie de l’entreprise : appro, fermages, charges courantes de fonctionnement (entretien du matériel, assurance, eau, …) mais aussi les annuités et la rémunération du travail de l’exploitant. De ce volume global de charges, nous devons déduire les aides et autres produits (produits financiers, prestation de service, …). Nous obtenons ainsi un besoin en chiffre d’affaires à couvrir par le produit des ventes comme vous le présente le graphique ci-dessous.

En divisant le chiffre d’affaires potentiel (prix x rendement) par ce besoin en chiffre d’affaires, nous arrivons au ratio d’atteinte de besoin en chiffre d’affaires.

Estimer le montant de ce besoin par culture ou au global permet de définir l’indicateur clé du pilotage économique d’une exploitation agricole. En France, pour la culture de blé, nous estimons ce besoin en chiffre d’affaires pour la récolte 2019 à 1 140 €/ha. En partant d’un rendement moyen historique de 7 t/ha, cela permet de déterminer un prix minimum de 160€/t à atteindre pour être rentable.

Cette méthodologie simple illustre bien que la rentabilité d’une exploitation agricole céréalière est liée à 4 déterminants : les dépenses, les aides, les rendement et les prix de vente. Alors voyons comment la récolte 2019 impacte la rentabilité.

Une récolte 2019 meilleure que prévue sauf en colza

Comparer, c’est observer la progression et diminution par rapport à une référence. En la matière, nous observons les rendements 2019 par rapport aux moyennes quinquennales et non pas dans une logique de variation annuelle.

Les rendements en blé devraient progresser de plus de 5% par rapport à la moyenne quinquennale avec des écarts suivant les régions. Nous estimons une progression des rendements de +10% en région Ile de France, Bourgogne Franche Comté et Grand Est. Les rendements sont plus décevants en région Nouvelle Aquitaine et Occitanie.

En orge d’hiver, les rendements progressent significativement en région Ile de France et Bourgogne Franche comté (+10% par rapport à la moyenne quinquennale). En orge de printemps brassicole, la progression des rendements en même supérieure au blé tendre. La hausse des rendements est assez exceptionnelle en région Bourgogne France Comté (+26% par rapport la moyenne quinquennale).

L’année 2019 a surtout profité à la culture de pois (+13% de rendement par rapport à la moyenne quinquennale). Et la progression des rendements dépasse les 15% dans 3 régions : Bourgogne Franche Comté, Grand Est, Centre Val de Loire.

En blé dur, nous observons des rendements en forte progression en région Centre Loire et Pays de Loire avec des progressions de + 28% et +10% par rapport à la moyenne quinquennale.

En colza, les rendements décrochent de plus de 10% par rapport à la moyenne quinquennale. Le décrochage est quasi-général. Il est supérieur à 15% en région Centre val de Loire, Ile de France et atteint 30% en région Bourgogne France Comté.

Un impact « rendement » positif mais limité

Au global sur la ferme France, nous estimons que l’impact des rendements permet une amélioration d’un point du ratio d’atteinte d’objectif de chiffre d’affaires tout chose égale par ailleurs. Le ratio passe de 97% à 98%. La rentabilité n’est donc pas atteinte malgré des rendements en hausse par rapport aux moyennes quinquennales.

La ferme France reste structurellement en difficulté malgré des rendements en hausse. L’impact négatif du rendement en colza neutralise de par son poids dans l’assolement une bonne partie des gains observés en céréales.

Des disparités de rentabilité significatives selon les principales régions françaises

Recalculé à l’échelle de chaque région, le ratio d’atteinte de besoin en chiffre d’affaires met en lumière de fortes disparités selon les régions compte tenu des différences d’assolement et de potentiel. La carte de France ci-dessous représente l’impact des rendements 2019 sur ce ratio région par région.

Les régions qui profitent de la bonne récolte 2019 sont les régions Pays de Loire, Ile de France, Grand Est et Bourgogne Franche Comté. Pour les régions Nouvelle Aquitaine et Occitanie, l’impact des rendements est négatif sur l’évolution du ratio d’atteinte de besoin en chiffre d’affaires. Pour ces 2 régions, cela s’explique par un recul des rendements en colza (plus de 20% par rapport à la moyenne historique).

Pour la région Centre Val de Loire, le fort recul des rendements en colza (2ème culture en importance en ha avant l’orge d’hiver) limite les effets d’une bonne récolte en céréales.

Cette carte met surtout en évidence que la bonne récolte permet d’atteindre l’objectif minimum de chiffre d’affaires à réaliser pour 4 régions sur 9 : Hauts de France, Normandie, Pays de Loire et Ile de France. Pour les régions Grand Est et Centre Val de Loire, les bons rendements ne suffisent pas pour atteindre les objectifs minimum de chiffre d’affaires.

L’atteinte de l’objectif de chiffre d’affaires sera dépendante d’une progression des prix d’ici la fin de campagne mais également des rendements à venir en maïs et tournesol.

En synthèse

Selon notre indicateur de rentabilité % d’atteinte de besoin en chiffre d’affaires, la situation reste globalement assez tendue.

Elle l’était encore davantage avant le démarrage de la récolte 2019, surtout avec des prix actuels très éloignés des plus hauts d’août 2018.

Les bons rendements 2019 sont les bienvenus dans ce contexte mais il ne masque pas le problème structurel de compétitivité de notre agriculture. L’équation de la rentabilité économique est aujourd’hui beaucoup plus complexe. L’impact rendement est limité. D’autres déterminants de la rentabilité sont à activer pour performer, notamment la maitrise de coûts et la valorisation de la récolte.